Interview Pasteur Rakotoharintsifa Andrianjatovo et M.Albert Huber (chargé de mission presse Cevaa)
Théologien, Andrianjatovo Rakotoharintsifa enseigne le Nouveau Testament et la sociologie des religions à Antananarivo. Licence de Lettres, études du russe et doctorat en théologie l’ont conduit de la capitale malgache à Moscou, Lausanne et Göttingen.
Resté pasteur de paroisse et très proche de son terroir, il porte un regard éclairé sur son île natale. Au nom des siens. Entretien.
Vous êtes reconnu comme l’un des théologiens de l’apôtre Paul . Pourquoi donc cette affinité ?
Les écrits de Paul comptent pour moi parmi les plus critiques et les plus radicaux sur le plan de la pensée. La 1e épître pastorale aux Corinthiens renvoie à ma propre culture. L’ approche de la mort, de la vie sexuelle libre…c’est nous les Africains. On est tout à fait dans quelque chose d’existentiel…
Précisément, peut-on parler d’une théologie malgache spécifique ? D’origine, la théologie malgache s’adresse à des situations de misère, d’aliénation tant spirituelle, qu’économique et sociale, d’oppression par de faux Dieux, de soumission aveugle au destin, de fatalité sur le plan philosophique. Il importe de libérer les gens de ces contraintes qui en font des esclaves, de tirer leur esprit de la pauvreté mentale et culturelle. Avoir le courage de s’en sortir, c’est travailler sur le plan de l’éthique, de la solidarité, de l’engagement concret aux côtés de ces pauvres dépourvus de tout.
L’urgence passe par la générosité humaine. La théologie de l’action sociale n’est pas une théologie dans le désert. Mon Eglise la pratique au fin fond des campagnes. A défaut d’administration, l’Eglise seule est présente sur le terrain pour alimenter le réseau de solidarité, aidée par la population non-chrétienne.
Revivifier, corriger, réformer, actualiser la société traditionnelle constitue une autre urgence. Elle passe par la prise en compte des droits de l’homme. Dans certaines ethnies, la domination sociale s’exerce encore à l’encontre des femmes ou des enfants. Par exemple, dans tel ou tel village, il y a refus de partager la table avec des femmes…
Quel regard portez-vous sur la pauvreté qui ne cesse de frapper votre pays ?
Nos structures sociales empêchent de promouvoir la libération des pauvres. L’éducation et l’apprentissage de la vie sociale n’arrivent pas à renverser la situation. Nous, malgaches, sommes comme des adeptes de la philosophie du destin. Pour nous, l’ordre est fait par Dieu. Nous nous considérons comme des choses ordonnées par Dieu. Par conséquent, nous nous adaptons à la pauvreté. Nous arrangeons notre vie pour accepter la pauvreté. C’est un facteur intra-culturel. Ainsi, nous acceptons la fatalité des cyclones.
Aucune réplique technologique à cette situation. L’Etat ne réagit pas. Dans un pays largement agricole, s’il y a des pépins de prix alimentaires qui grimpent, on laisse faire. Nos bailleurs de fond ne poussent pas à une économie semi-industrialisée. Sous la coupe de la politique économique industrielle mondiale et du FMI , nous en sommes restés à l’ère du système de Bretton Woods , sans marges de manœuvre. L’imagination manque cruellement. On utilise les conflits locaux pour diviser les populations, on pratique le mépris de l’autre, on ignore la solidarité. Les initiatives locales sont étouffées, alors qu’il s’agit d’écouter les gens sur le terrain sans préalable. Et le bandistisme s’installe. Il est et a toujours été d’origine politique . On pille la société pour se venger des politiques. Les petites gens n’ont plus de cadre sécuritaire.
Votre Eglise protestante est proche de l’Etat. Son vice-président est aussi le président de la République . Comment analysez-vous cette situation ? Historiquement et socialement l’Eglise jouent un rôle d’avant-garde, dans l’éducation, la santé de base pour les petites gens, dans le travail d’animation auprès des jeunes, des femmes…L’Eglise fait beaucoup. Mais elle suit l’Etat, un pas à ne pas franchir. Elle n’est pas de nature subalterne et se doit d’appliquer d’autres critères d’engagement. Elle a surtout un rôle prophétique de justice face au mépris des pauvres, face à la corruption. Un rôle aussi de vigilance afin de ne pas relayer la propagande. Inversement l’Etat n’a pas à s’immiscer dans les affaires de l’Eglise, en fermant des églises par exemple. Il est présent pour tout le monde. Il n’a pas à avoir de théologie, il est laïc et indépendant des ecclésiastiques. Il ne salarie pas ces derniers.
Le président de la République se doit de discerner le jeu de l’Etat et celui de l’Eglise. le président actuel s’affiche comme chrétien. Ainsi, le religieux devient ostentatoire. Cela peut gêner dans des endroits non adaptés. Ce qui importe c’est le respect du pluralisme des religions, l’appartenance nationale. Pourquoi ? Pour ne pas attiser l’intégrisme. Ce qui se passe au Moyen-Orient nous guette. Attention à ce que cela n’arrive pas à Madagascar.
Les relations Eglise – Etat sont ingérables dans l’ambiguïté. Il vaut mieux une séparation nette. Pour que les chrétiens n’aient pas peur de dire non, d’exprimer leur dissentiment. Au vu de la puissance du politique, les chrétiens préfèrent se taire. C’est dommage pour l’Eglise.
Êtes-vous un théologien heureux ?
Oui ! Je vis sur le terrain, le lieu même où ma théologie est mise à l’épreuve, comme dans un laboratoire naturel. Même si cela est dur, je suis humainement là pour servir mon peuple. Je ne quitterai jamais mon pays. Je contiens la solitude intellectuelle par les livres. Je suis un rat de bibliothèque, vorace en lecture, servi par Internet et un cercle d’amis -depuis mes 5 ans comme assistant de Nouveau Testament à l’université de Lausanne- qui m’envoient toutes sortes de documents par réseau.
J’essaye de mettre mes compétences à la disposition de l’Eglise, de la faire avancer, de parler pour faire progresser la pensée. Le tout dans un esprit critique propre à la théologie qui se veut productive, hors de l’abstraction formelle. Cela commence à passer. Je suis là pour donner, sachant que l’Eglise a aussi besoin d’autres cadres que les théologiens. Pas de francs-tireurs : le divorce entre théologie et vie d’Eglise est stérile. Pour rester à l’écoute du peuple de l’Eglise, je suis resté pasteur à plein temps, dans une paroisse du centre d’Antananarivo. C’est elle qui me paye. Et c’est en vacataire que j’enseigne à la Faculté de Théologie et à l’Université…
recueillis par Albert Huber chargé de mission presse Cevaa